Le dispositif juridique français

Il n’y a pas en droit français de définition juridique de la secte, pas plus qu’il n’y a de définition de la religion. Respectueux de toutes les croyances et fidèle au principe de laïcité, le législateur s’est toujours refusé à définir les notions de sectes et de religions, afin de ne pas heurter les libertés de conscience, d'opinion et de religion garanties par les textes fondamentaux que sont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Constitution française du 4 octobre 1958 et la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat (voir ces textes). Pour autant, tout n'est pas permis au nom de la liberté de conscience ou de la liberté de religion. La loi fixe des bornes qui sanctionnent les abus de ces libertés, sous le contrôle du juge.

L’absence de définition de la secte n’efface pas la réalité de l’existence de victimes des dérives de certains mouvements sectaires. A défaut de définir juridiquement ce qu’est une secte, la loi réprime tous les agissements qui sont attentatoires aux droits de l’homme ou aux libertés fondamentales, qui constituent une menace à l’ordre public, ou encore qui sont contraires aux lois et aux règlements, commis dans le cadre particulier de l’emprise mentale.

La notion de dérive sectaire n'est pas non plus définie par la loi. Il s’agit en réalité d’un concept opératoire, permettant de déterminer un type de comportement bien précis qui appelle une réaction de la part de la puissance publique. Son approche est à la fois pragmatique et textuellement encadrée.

Pragmatique, car c'est sur la base de critères précisés par plusieurs commissions d’enquêtes parlementaires qu'a été élaboré un faisceau d’indices permettant de caractériser l’existence d’un risque de dérive sectaire :

- la déstabilisation mentale
- le caractère exorbitant des exigences financières,
- la rupture avec l’environnement d’origine,
- l’existence d’atteintes à l’intégrité physique,
- l’embrigadement des enfants,
- le discours antisocial,
- les troubles à l’ordre public
- l’importance des démêlés judiciaires,
- l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels,
- les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.

Un seul critère ne suffit pas pour établir l’existence d’une dérive sectaire et tous les critères n’ont pas la même valeur. Le premier critère (déstabilisation mentale) est toutefois toujours présent dans les cas de dérives sectaires.

Textuellement encadrée, car la notion de dérive sectaire, sans être juridiquement définie ou spécifiquement incriminée, peut être précisée par le recours à différents textes de référence qui permettent de mieux en cerner le contour :

circulaire du Premier ministre du 27 mai 2005 relative à la lutte contre les dérives sectaires :

« I- L’action menée par le gouvernement est dictée par le souci de concilier la lutte contre les agissements de certains groupes, qui exploitent la sujétion, physique ou psychologique, dans laquelle se trouvent placés leurs membres, avec le respect des libertés publiques et du principe de laïcité. (…) Aussi a-t-il été décidé, plutôt que de mettre certains groupements à l’index, d’exercer une vigilance particulière sur toute organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté individuelle de ses membres, afin d’être prêt à identifier et à réprimer tout agissement susceptible de recevoir une qualification pénale, ou plus généralement, semblant contraire aux lois et aux règlements. (…)Les fonctionnaires et agents publics doivent s’attacher à rechercher et à identifier, dans leur périmètre d’attributions, toute activité, quelle que soit sa forme, susceptible de revêtir un caractère « sectaire », parce qu’elle place les personnes qui y participent dans une situation de sujétion ou d’emprise et tire parti de cette dépendance » (voir la circulaire).

décret du 28 novembre 2002 :

« Il est institué auprès du Premier ministre une mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires qui est chargée d’observer et d’analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire, dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ou constituent une menace à l’ordre public ou son contraires aux lois et règlements » (voir le décret).

loi du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales :

« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse (…) d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire cette personne à un acte qui lui est gravement préjudiciable » (article 223-15-2 du code pénal institué par la loi du 12 juin 2001). Ce texte n'incrimine pas en tant que tel la dérive sectaire ou l'emprise mentale, mais seulement l'abus frauduleux de l'état de faiblesse d'une personne placée en situation de sujétion psychologique ou physique.

Sur la base des signalements reçus à la Miviludes depuis une dizaine d'années, la dérive sectaire peut être appréhendée comme suit :
 

La dérive sectaire

Il s'agit d'un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes, à l’ordre public, aux lois ou aux règlements. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.

Ainsi, il importe peu que telle dérive soit commise par un mouvement sectaire, un nouveau mouvement religieux, une religion du Livre ou par un charlatan de la santé. Dès lors qu’un certain nombre de critères sont réunis, dont le premier est la mise sous sujétion, l’action répressive de l’Etat a vocation à être mise en œuvre.
 

L’action des services de l’État pour lutter contre ces dérives sectaires multiformes est mise en place à plusieurs niveaux :

  •   L’action du responsable administratif consiste à mettre en œuvre les mesures de surveillance et de prévention adéquate.
  •   L’action de l’acteur social permet de déceler les dangers et de venir en aide aux victimes.
  •   La Miviludes quant à elle coordonne l’ensemble des moyens d’action des services de l’État aux plans départemental, régional et ministériel, informe le public et les fonctionnaires, analyse l’évolution du phénomène pour le compte du Premier ministre.
  •   Enfin l’action du juge, gardien des libertés, va dans le sens de la protection contre toute sujétion physique ou psychologique.

Cette action concertée et pragmatique de l’État, en l’absence d’une incrimination spécifique, s’inscrit dans le cadre d’une double protection :

  •   celle de la liberté de conscience
  •   celle des libertés individuelles et notamment celles des plus faibles (enfants par exemple).

Aucun jugement n’est porté a priori sur la valeur ou la sincérité d’un engagement idéologique ou spirituel. Cependant tout n’est pas permis au nom de la liberté de conscience ou de religion.

Il appartient au juge de rappeler les limites à ne pas franchir tant au plan national dans les aspects administratif et judiciaire, qu’au plan européen.

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